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Les Medina d'Amérique latine

Crisanto II Medina

[...] Indépendamment des annuaires officiels de l’époque, il nous reste de nombreux témoignages des centres d’intérêt de Crisanto II et parmi eux, il est un dossier qui lui tenait particulièrement à cœur : la construction d’un canal au Nicaragua. [...]

 

En 1898, Crisanto II fit paraître une étude intitulée : Le canal interocéanique, avenir de l’Amérique centrale, dont l’idée maîtresse était d’utiliser les eaux du fleuve San Juan. De nos jours encore, son travail fait autorité en la matière et dans le journal nicaraguayen, La Prensa, daté du 1er juin 2002, le journaliste Jorge Eduardo Arellano écrit par exemple :

 

« […] comme Don Crisanto Medina, le célèbre diplomate nicaraguayen qui écrivit, sans aucun doute, les meilleures études sur le canal ».

 

Comme on le sait, ce projet n’aboutit pas et le canal traversa finalement le Panama. En septembre 1903, la North American Review, fit paraître un article de Crisanto II, intitulé « Pourquoi le trajet par le Panama a été choisi à l’origine ». Il en donnait plusieurs raisons, la première ayant été l’influence de Lucien Bonaparte-Wyse, représentant du groupe financier Türr qui avait de gros intérêts au Panama et une autre, l’attitude du nouveau président du Nicaragua qui, ne connaissant pas encore le dossier, s’était aligné sur l’avis du Sénat.

 

« Le président déclara dans une lettre qui fut lue à l’une des sessions du Congrès, que tant qu’il serait au pouvoir, il était déterminé à ne jamais signer un contrat de quelque nature que ce soit pour la construction d’un canal au Nicaragua. L’effet de cette déclaration présidentielle sur les membres du Congrès International peut être facilement apprécié ».

 

La dernière raison aurait été l’influence de Ferdinand de Lesseps sur tous les congressistes. Or celui-ci avait des intérêts financiers au Panama et n’avait pas confiance dans le gouvernement nicaraguayen.

 

« Tous mes arguments ne furent cependant d’aucun poids en face des craintes entretenues par de Lesseps et les pressions effectuées par le Syndicat Colombien qui travaillait énergiquement à emporter la décision en faveur de Panama ». [...]

 

[...] En août 1910, il eut probablement une nouvelle attaque alors qu’il se trouvait avec son cousin Manzano à Biarritz, à l’hôtel d’Angleterre. C’est du moins ce que laisse supposer les missives de sa nièce Marguerite López (fille de Victoria Ballén y Millán, la plus jeune sœur de Clemencia) qui était infirmière. Dès l’annonce de la maladie de son oncle, elle était accourue à son chevet avec sa cousine Celita (encore célibataire à cette date). Il nous reste trois lettres de Marguerite López à Mercedes Machaïn. Dans celle du 19 octobre, elle lui donnait des nouvelles, parlant de l’angoisse de son oncle qui ne sentait plus sa main gauche, des petites sœurs dominicaines qui venaient tous les matins et toutes les nuits, du médecin qui passait deux fois par jour et des deux spécialistes qui avaient été appelés en consultation. Elle ajoutait que le malade ne serait pas transportable avant au moins huit jours et que par conséquent la venue de son valet Étienne était inutile car il ne pouvait pas se lever. Elle terminait sa lettre en répétant à sa cousine : « Ne te tourmente pas trop, il n’y a pas lieu ». On se demande bien ce qu’il lui aurait fallu !

 

Le 22 octobre, elle signalait un mieux notable : son oncle pouvait maintenant s’asseoir dans son lit. [...]

Le 23 octobre enfin, nous apprenons qu’il allait vraiment tout-à-fait mieux puisqu’il ne supportait plus auprès de lui que son cousin, interdisant l’accès de sa chambre à sa fille et à sa nièce dont il souhaitait même se débarrasser complètement !

 

« Nous le voyons moins Celita et moi. Medina nous ayant manifesté le désir de nous voir rentrer à Paris, nous avons pris le conseil des médecins et agissant suivant notre conscience, nous avons jugé qu’étant venues soigner ton père, nous devions rester ici tant que son état présenterait du danger. Mais notre présence dans sa chambre lui étant désagréable depuis 3 jours, nous ne nous expliquons pas d’ailleurs pourquoi, les médecins nous ont conseillé de ne pas nous montrer. […] C’est Manzano qui reste l’après-midi auprès de Medina, d’ailleurs dès qu’il s’absente ce dernier le réclame et lui fixe ¼ d’heure ou ½ heure de promenade ».

 

Les médecins avaient eu raison de pronostiquer une rechute car c’est probablement de cela dont il décéda dix mois plus tard, le 17 août 1911. Il se trouvait alors à Thun, en Suisse [...] Ses filles, Mercedes Machaïn et Celita qui avait épousé Régis de Kermadec six mois plus tôt, accoururent [...] C’est par une lettre de Mercedes à Camille, datée du 19 août 1911, que nous connaissons les derniers moments de Crisanto II.

 

« Il parait qu’il était beaucoup mieux ces derniers jours. Mercredi, il avait fait une promenade à pied avec Gador et il s’était couché comme d’habitude et à 11h ½, il a sonné la femme de chambre de l’hôtel. Il étouffait, il a voulu se lever mais il n’a pas pu, alors la femme a voulu appeler Manzano qui n’habitait pas le même pavillon mais il lui a dit de rester, de ne pas le laisser seul. C’est tout ce qu’il a pu dire. C’est Manolo [le mari de Gador] qui est arrivé le premier et qui lui a fermé les yeux ».

 

Malgré son chagrin, Mercedes Machaïn ne pouvait cacher quelqu’inquiétude :

 

« Ici, nous trouvons que Papa avait à moitié engagé plusieurs domestiques à la fois pour si l’une ne lui plaisait pas, en avoir une autre toute prête à la remplacer. Il devenait de jour en jour plus fantasque, il va falloir les indemniser. Il y en a une qu’il a fait venir de Zurich et à qui il faut aussi rembourser le voyage. Naturellement, c’est la maladie qui le rendait comme cela et comme d’un autre côté Manzano n’a pas du tout regardé à faire la moindre économie, nous sommes un peu effrayés du total que cela va bien pouvoir nous faire. Manzano a commandé un cercueil de 800 frs, je suppose que les souverains en ont comme cela, en attendant comme notre caveau du Père-Lachaise n’a pas été construit pour des souverains, l’employé des pompes funèbres qui est venu ici avec nous, a tout de suite prévenu et il a fallu faire une longue dépêche explicative à Paris pour qu’on fasse le nécessaire et qu’on agrandisse les parois du caveau ».

 

[...] Son corps fut ramené en France où il fut enterré au Père-Lachaise dans le caveau que sa fille Mercedes avait fait construire pour son mari un an plus tôt.

 

Le gouvernement français accorda les Honneurs militaires à un homme qui avait représenté auprès de lui les différents pays de l’Amérique centrale pendant tant d’années. Et il convient de souligner cet hommage rendu par la République française car celle-ci n’a pas pour habitude d’honorer ainsi tous les diplomates accrédités auprès d’elle, même s’ils ont passé de longues années à Paris.

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