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Les Medina d'Amérique latine

Crisanto I Medina

[...] Resté orphelin de mère alors qu’il était bébé, Crisanto I n’avait que trois ans lorsqu’en 1817, son père partit rejoindre les armées du général San Martin. Avant de s’éloigner sans savoir s’il reviendrait jamais, Francisco Javier II Antonio confia ses enfants à sa propre mère (qui mourut en 1824) et à ses trois sœurs qui vivaient encore à Córdoba, Eduarda, Francisca et Petrona.

Dès l’enfance, Crisanto I montra un caractère énergique et entier (pour ne pas dire mauvais !), accompagné d’une remarquable intelligence. L’instruction était alors complètement délaissée du fait des évènements politiques et on ne pensait guère à apprendre aux petits garçons que le maniement des armes afin d’en faire de futurs soldats. Elles-mêmes peu instruites comme la majorité des femmes de l’époque, ses pauvres tantes ne savaient donc que faire de leur neveu quand elles finirent par dénicher un prêtre, un peu leur parent, qui accepta d’apprendre au garçon à lire, écrire et compter et à lui inculquer des rudiments de latin. [...]

 

Quand il fut plus âgé, ses tantes le firent entrer au collège des Jésuites de Montserrat, celui-là même dans lequel avait été son père. [...] De nombreuses bagarres éclataient périodiquement et à la suite de l’une d’entre elles plus violente que les autres, il fut renvoyé du collège, suivant toujours en cela l’exemple paternel. Il décida alors de rejoindre les rangs des révolutionnaires où malgré sa jeunesse (il ne devait guère avoir plus de quatorze ou quinze ans), il fut incorporé tout de suite et prit immédiatement part aux combats qui se déroulaient.

 

On lui confia un jour la garde de prisonniers parmi lesquels se trouvait un prêtre qui semblait être un élément important du parti adverse. Cet ecclésiastique souffrait beaucoup de ne pouvoir fumer et il supplia son gardien de lui procurer des cigarettes. Crisanto I avait bon cœur et il lui en glissa tous les jours quelques unes en cachette. Quelque temps plus tard, il y eut un échange de prisonniers et le prêtre disparut.

 

Mais la paix ne revenait pas, les combats se poursuivaient et les deux partis continuaient à rencontrer alternativement succès et revers. Un jour, ce fut celui des Indépendantistes qui subit une lourde défaite après de terribles combats qui avaient laissé de nombreux morts et blessés sur le terrain. Les soldats victorieux abattaient sans pitié les fuyards et Crisanto I ne dut son salut qu’à son agilité qui lui permit de se dissimuler dans les branches d’un arbre. Il y passa la nuit mais fut malheureusement découvert le matin suivant et emmené avec d’autres survivants au quartier général de leurs adversaires. Condamnés à être fusillés, ils étaient déjà attachés aux poteaux d’exécution quand des chefs arrivèrent. Parmi eux se trouvait le prêtre aux cigarettes qui en reconnaissant Crisanto I, s’écria :

 

« Ne tuez pas cet enfant ! Il est des nôtres, je réponds de lui ! ».

 

Tout ceci se passait dans les années 1830 et Crisanto I avait tout au plus seize ans.

 

Libéré, il s’empressa de rejoindre ses amis. Les affrontements se poursuivirent encore plusieurs mois jusqu’au jour où il fut une fois encore capturé avant d’être emmené à Córdoba et de nouveau condamné à être fusillé. Cette fois-ci, ce furent ses tantes qui vinrent à son secours en usant de l’influence dont elles disposaient dans cette ville où elles connaissaient tout le monde. Elles parvinrent à faire commuer la peine, à condition que leur neveu quitte immédiatement le pays pour n’y plus revenir. Comme le mari de l’une d’elles avait déjà du se réfugier au Chili, elles lui envoyèrent le garçon. [...]

 

Ses voyages à l’étranger avait permis à Medina de mesurer tous les avantages du système bancaire. Comme celui-ci faisait cruellement défaut en Amérique centrale, il décida d’ouvrir ce qui allait devenir par le fait, la première banque de toute l’Amérique latine.

 

C’est grâce à son amitié avec le président du Costa Rica, Juan Rafael Mora Porras, qu’il allait y parvenir. Le 2 juin 1857, il signait avec le gouvernement un contrat qui créait à San José, la Banque Nationale Costaricaine. Ce contrat dit Medina-Escalante (du nom du ministre des Finances et de la Guerre) fondait une entreprise au capital équivalent à 200 000 dollars (100 000 issus de fonds privés et 100 000 prêtés au gouvernement par Medina : nous retrouverons ceux-ci au moment du procès Tinoco).

 

Les principaux actionnaires de la banque étaient, bien sûr, Mora et Medina, mais il y avait également une dizaine d’autres personnes. Un an plus tard, cette première banque fermait pour laisser la place à un autre établissement, à la suite d’un nouveau contrat signé le 1er juin 1858, cette fois-ci entre Medina et José María Cañas, le nouveau ministre des Finances et de la Guerre. Cette même année, la banque émettait des billets de 1, 2, 10 et 20 pesos sur lesquels figurait la signature : « C. Medina ».

Crisanto I avait pris à ses côtés ses deux fils aînés qui avaient terminé leurs études et les avait placés à des postes de confiance, ce qui permit à ce nouvel établissement de s’intituler Banque Medina ou Medina et Fils. Quoiqu’elle fût l’ancêtre de l’actuelle Banque Nationale du Costa Rica, cette banque n’eut malheureusement qu’une existence éphémère car à la suite du coup d’État qui renversait le président Mora, elle fut mise en liquidation, un an à peine après sa fondation.[...]

 

[...] Le 28 septembre 1860, Puntarenas était attaquée par les troupes de Montealegre, commandées par le général Blanco. Mora qui ne disposait encore que de quelques centaines d’hommes à lui opposer, ne fut pas en mesure de résister. Il y eut d’atroces combats et, le vin et l’alcool aidant, la ville fut proprement saccagée. Un effroyable massacre eut lieu, à un point tel que le consul américain écrivit que le port était « sanguinolent ».

 

« Beaucoup de personnes désarmées sont assassinées, les maisons sont prises d’assaut et saccagées : c’est absolument épouvantable ».

 

Et il devait bien y avoir plus qu’un fond de vérité dans ces propos car dans son Journal des opérations, le gouvernement de Montealegre reconnaissait :

 

« que quelques uns des factieux ont été victimes de la colère et de la vengeance de nos soldats »…

 

Pendant les deux jours où Mora se cacha sous le plancher d’une maison en compagnie du général Cañas, Crisanto II put lui proposer de l’aider à s’enfuir ce que Mora refusa par crainte des représailles qui ne manqueraient pas de s’abattre sur ses amis restés dans le pays. Mora et Cañas finirent tous les deux sous les balles d’un peloton d’exécution ordonné par Montealegre (le beau-frère de Mora), le premier le 30 septembre 1860 et Cañas deux jours plus tard bien que le général se soit livré volontairement en échange de la vie de son chef.

 

Dans le même temps, Crisanto I avait pu se réfugier chez un ami pendant que la tête de Crisanto II était mise à prix (le garçon qui avait vingt et un ans put s’enfuir à temps) et que Perfecto était jeté en prison avant d’être libéré grâce à l’intervention du consul américain.

 

Dans une dépêche de son correspondant datée du 15 octobre 1860, le New York Times écrivit :

 

« Les soldats sont comme fous et massacrent tout indistinctement. […] Les drapeaux des États-Unis et du Royaume-Uni sont déchirés et piétinés. […] La maison de Crisanto Medina, agent maritime et du chemin de fer de Panamá, a été prise d’assaut avec furie par les soldats parce que le fils de Medina qu’ils avaient reçu l’ordre d’assassiner, avait pu s’échapper ».

 

Le 4 décembre suivant, le même correspondant publiait les lignes suivantes :

 

« Panama, samedi 24 novembre 1860. […]

La tyrannie la plus effroyable règne toujours dans ce malheureux pays [le Costa Rica]. Les prisons débordent de personnes suspectes et chaque jour, de nouvelles personnalités amies de Mora et de Cañas vont rejoindre les rangs des persécutés. Don Crisanto Medina, très important marchand et banquier qui a obtenu à New York ses papiers de naturalisation américaine, a été contraint de quitter le pays pendant que l’un de ses fils, Crisanto Medina Jr, était condamné à mort ; un autre fils, Perfecto est en prison. Le secret de l’inimitié du gouvernement contre Medina est qu’Iglesias & Tinoco, firme dont l’un des membres occupe une place importante dans le gouvernement, lui doit 50 000 dollars, affaire qui est actuellement en procès. Monsieur Medina, après une ferme protestation auprès du consul des États-Unis contre l’injustice et la tyrannie du gouvernement, a placé tous ses intérèts dans les mains du Dr. Hine, le consul. On ne pense pas que le gouvernement osera fusiller le jeune Medina, car la moindre preuve de sa complicité dans la révolution n’a pu être apportée. En fait, la seule chose sure, c’est que deux soldats de Mora, dont l’un est déjà condamné à mort et l’autre exilé, ont été torturés pour compromettre Medina. S’il est assassiné, M. Dimitry sera responsable de sa mort puisqu’il peut le sauver s’il décide d’intervenir. F.W.R. ». [...]

 

Crisanto I avait toujours joui d’une excellente santé ce qui était préférable étant donné le genre de vie qu’il menait. Mais au retour d’un voyage à Panama, il fut victime probablement d’une attaque et mourut brusquement à Ciudad Guatemala, le 2 décembre 1868. Laissons une dernière fois la parole à sa fille.

 

« Huit jours après son arrivée, le 2 décembre 1868, il [son père] était dans son bureau très occupé car c’était le jour du courrier et nous étions, Adela et moi, en train de l’aider. Il sortit de la pièce un moment en me chargeant de chercher un document qu’il devait envoyer et l’ayant trouvé, je le mis sur la table ronde qui était au milieu de la pièce sur laquelle j’étais en train d’écrire. Mon père y avait laissé ses lunettes en sortant. En le voyant revenir, je me dépêchai de lui remettre le document qu’il prit de la main droite et de la main gauche, il prit ses lunettes sur la table. À cet instant, les lunettes et le papier tombèrent de ses mains qu’il leva en l’air en criant : " Mon Dieu, qu’est-ce que c’est ? " et il tomba dans mes bras sans connaissance », (Carmen Medina, Souvenirs).

 

En septembre 1882, J. Francisco réunit dans un même tombeau son père Crisanto I, son frère Perfecto et sa tante Paulina de Roiz. Ce tombeau existe toujours dans le cimetière de Ciudad Guatemala, mausolée 36, colina Sur Poniente, cuadro Los Cerritos.

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